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Ve JOURNÉE

amour d’eulx mesmes, hypocrisie & fiction. Et, voïant les Dames nourir en leur cueur ceste vertu de vraye amour, & que le nom d’hypocrisie estoit tant odieux entre les hommes, luy donnèrent le surnom d’honneur, tellement que celles qui ne povoient avoir en elles ceste honnorable amour disoient que l’honneur le leur desfendoit, & en ont faict une si cruelle loy que mesmes celles qui ayment parfaictement dissimullent, estimant vertu estre vice ; mais celles qui font de bon entendement & de sain jugement ne tumbent jamais en telles erreurs, car ilz congnoissent la différence des ténèbres & de lumière & que leur vray honneur gist à monstrer la pudicité du cueur, qui ne doibt vivre que d’amour & non poinct se honorer du vice de dissimullation.

— Toutesfois, » dist Dagoucin, « on dit que l’amour la plus secrète est la plus louable.

— Ouy, secrete, » dist Simontault, « aux œilz de ceulx qui en pourroient mal juger, mais claire & congneue au moins aux deux personnes à qui elles touchent.

— Je l’entendz ainsy, » dist Dagoucin ; « encores vauldroit elle mieulx d’estre ignorée d’un costé que entendue d’un tiers, & je croy que ceste femme là aymoit d’autant plus fort qu’elle ne le déclaroit poinct.

— Quoy qu’il y ayt, » dist Longarine, « il fault estimer la vertu, dont la plus grande est à vaincre son cueur, &, voïant les occasions que ceste fille avoyt d’oblier sa conscience & son honneur, & la vertu qu’elle eut de vaincre son cueur & sa volunté & celluy qu’elle aymoit plus qu’elle mesmes, avecq toutes les occasions & moyens qu’elle en avoyt, je dictz qu’elle