Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
XLIJe NOUVELLE

exemple nous demorions victorieuses de nous mesmes, car c’est la plus louable victoire que nous puissions avoir.

— Je ne voy que ung mal, » dist Oisille, « que les actes vertueux de ceste fille n’ont esté du temps des Historiens, car ceulx qui ont tant loué leur Lucresse l’eussent laissée au bout de la plume pour escripre bien au long les vertuz de ceste cy.

— Pour ce que je les trouve si grandes que je ne les pourrois croyre, sans le grand serment que nous avons faict de dire verité, telle que vous la peignez, » dist Hircan, « car vous avez veu assez de mallades desgouttez de laisser les bonnes & salutaires viandes pour manger les mauvaises & dommageables, aussy peult estre que ceste fille avoyt quelque Gentil homme comme elle qui luy faisoyt despriser toute Noblesse. »

Mais Parlamente respondit à ce mot que la vie & la fin de ceste fille monstroient que jamais n’avoyt eu opinion à homme vivant que à celluy qu’elle aymoit plus que sa vie, mais non pas plus que son honneur.

— Ostez ceste opinion de vostre fantaisye, » dist Saffredent, « & entendez d’où est venu ce terme d’honneur quant aux femmes, car peult estre que celles qui en parlent tant ne sçavent pas l’invention de ce nom. Scachez que, au commencement que la malice n’estoit trop grande entre les hommes, l’amour y estoyt si naïfve & forte que nulle dissimullation n’y avoit lieu, & estoit plus loué celluy qui plus parfaictement aymoyt. Mais, quant l’avarice & le péché vindrent saisir le cueur & l’honneur, ilz en chassèrent dehors Dieu & l’amour & en leur lieu prindrent