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Ve JOURNÉE

mande. Je ne suis point si sotte, Monseigneur, ne si aveuglée que je ne voie & congnoisse bien la beaulté & graces que Dieu a mises en vous, & que je ne tienne la plus heureuse du monde celle qui possédera le corps & l’amour d’un tel Prince. Mais de quoy me sert tout cela, puisque ce n’est pour moy ne pour femme de ma sorte, & que seullement le desirer seroyt à moy parfaicte folye ? Quelle raison puis je estimer qui vous faict adresser à moy, sinon que les Dames de vostre Maison, lesquelles vous aymez si la beaulté & la grace est aymée de vous, sont si vertueuses que vous n’osez leur demander ne espérer avoir d’elles ce que la petitesse de mon estat vous faict espérer avoir de moy ? Et suis seure que, quant de telles personnes que moy auriez ce que demandez, ce seroyt ung moïen pour entretenir vostre maistresse deux heures davantaige, en luy comptant voz victoires au dommaige des plus foibles. Mais il vous plaira, Monseigneur, penser que je ne suis de ceste condition. J’ay esté nourrye en vostre maison, où j’ay aprins que c’est d’aymer ; mon père & ma mère ont esté voz bons serviteurs. Par quoy il vous plaira, puisque Dieu ne m’a faict Princesse pour vous espouser, ne d’estat pour estre tenue à maistresse & amye, ne me vouloir mectre en rang des pauvres malheureuses, veu que je vous desire & estime celluy des plus heureux Princes de la Chrestienté. Et, si pour