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VIIJe JOURNÉE

pauvre femme si bas qu’elle avoyt plus de besoing de Confesseur que de Médecin, dont il feit ung deuil le plus piteux du monde. Mais pour bien le représenter fauldroyt parler gras comme luy, & encores seroyt ce plus qui pourroit paindre son visaige & sa contenance.

Après qu’il luy eut faict tous les services qu’il luy fut possible, elle demanda la croix, que on luy feist apporter. Quoy voiant le bon homme s’alla gecter sur ung lict tout desesperé, criant & disant avec sa langue grasse : « Hélas, mon Dieu, je perdz ma pauvre femme, que feray je, moy malheureux », & plusieurs telles complainctes.

À la fin, regardant qu’il n’y avoyt personne en la chambre que une jeune Chamberière, assez belle & en bon poinct, l’appela tout bas à luy en luy disant : « M’amye, je me meurs ; je suis pis que trespassé de veoir ainsy morir ta maistresse. Je ne sçay que faire, ne que dire, sinon que je me recommande à toy, & te prie prendre le soing de ma maison & de mes enfans. Tiens les clefz que j’ay à mon costé, donne ordre au mesnaige, car je n’y sçaurois plus entendre. » La pauvre fille qui en eut pitié, le reconforta, le priant ne se vouloir désespérer & que, si elle perdoyt sa maistresse, elle ne perdist son bon maistre. Il luy respondist : « M’amye, il n’est possible, car je me meurs. Regarde comme j’ay le visaige froid, aproche tes