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XLIJe NOUVELLE

Prince la voyoit tant voluntiers qu’il pensa à l’aymer bien fort &, pour ce qu’il la congnoissoit de bas & pauvre lieu, espéra recouvrer facillement ce qu’il en demandoyt.

Mais, n’aiant moien de parler à elle, luy envoya ung Gentilhomme de sa Chambre pour faire sa practique, auquel elle, qui estoit saige, craingnant Dieu, dist qu’elle ne croyoit pas que son Maistre, qui estoit si beau & honneste Prince, se amusast à regarder une chose si layde qu’elle, veu que au Chasteau où il demeuroit il en avoit de si belles qu’il ne falloit poinct en chercher par la ville, & qu’elle pensoit qu’il le disoyt de luy mesmes sans le commandement de son Maistre.

Quant le jeune Prince entendit ceste response, Amour, qui se attache plus fort où plus il trouve de résistance, luy feit plus chauldement qu’il n’avoyt faict poursuivre son entreprinse & luy escripvit une lettre, la priant voulloir entièrement croire ce que le Gentil homme luy disoyt.

Elle, qui sçavoyt très bien lire & escripre, leut sa lettre tout du long, à laquelle, quelque prière que luy en feit le Gentil homme n’y voulut jamais respondre, disant qu’il n’appartenoit pas à si basse personne d’escripre à ung tel Prince, mais qu’elle le supplioit ne la penser si sotte qu’elle estimast qu’il eust une telle oppinion d’elle que de luy porter tant d’amityé, & aussy que, s’il pensoyt à cause