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LXXe NOUVELLE

accepter mon service. » La Duchesse rougissant, pensant qu’il ne tenoyt plus à rien qu’il ne fût vaincu, luy jura que, s’il voulloyt, elle sçavoyt la plus belle Dame de sa compaignye qui le recepvroit à grand joye & dont il auroit parfaict contentement : « Hélas, ma Dame, je ne croy pas qu’il y ayt si malheureuse & aveugle femme en ceste compaignye qui me ayt trouvé à son gré. »

La Duchesse, voiant qu’il n’y vouloit entendre, luy va entreouvrir le voille de sa passion &, pour la craincte que luy donnoyt la vertu du Gentil homme, parla par manière d’interrogation, luy disant : « Si Fortune vous avoyt tant favorisé que ce fût moy qui vous portast cette bonne volunté, que diriez-vous ? »

Le Gentil homme, qui pensoyt songer d’oyr une telle parolle, luy dist le genoulx à terre :

« Ma Dame, quant Dieu me fera la grace d’avoir celle du Duc, mon maistre, & de vous, je me tiendray le plus heureux du monde, car c’est la récompense que je demande de mon loial service, comme celluy qui plus que nul autre est obligé à mectre la vie pour le service de vous deux, estant seur, ma Dame, que l’amour que vous portez à mon dict Seigneur est accompagnée de telle chasteté & grandeur que non pas moy, qui ne suys que ung ver de terre, mais le plus grand Prince & parfaict homme que l’on sçauroit trouver ne