Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
VIJe JOURNÉE

craincte dont elle estimoyt le Gentil homme trop plain.

Peu de jours après, voiant qu’il n’entendoit poinct son langage, se délibéra de ne regarder craincte ny honte, mais luy déclarer sa fantaisie, se tenant seure que une telle beaulté que la sienne ne pourroit estre que bien reçeue, mais elle eust bien desiré d’avoir eu l’honneur d’estre priée. Toutesfoys laissa l’honneur à part pour le plaisir &, après avoir tenté par plusieurs foys de luy tenir semblables propos que le premier & n’y trouvant nulle response à son grey, le tira ung jour par la manche & luy dist qu’elle avoyt à parler à luy d’affaires d’importance. Le Gentil homme, avec l’humilité & révérance qu’il luy debvoyt, s’en va devers elle en une profonde fenestre où elle s’estoyt retirée, &, quand elle veid que nul de la chambre ne la povoyt veoir, avecq une voix tremblante, contraincte entre le desir & la craincte, luy va continuer les premiers propos, le reprenant de ce qu’il n’avoyt encores choisy quelque Dame en sa compagnye, l’assurant que en quelque lieu que ce fût luy ayderoyt d’avoir bon traictement.

Le Gentil homme, non moins fasché que estonné de ses parolles, luy respondit : « Ma dame, j’ay le cueur si bon que, si j’estois une foys refusé, je n’aurois jamais joye en ce monde & je me sens tel qu’il n’y a Dame en ceste Court qui daignast