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LXVIIJe NOUVELLE

qui estoit fort & puissant & qui n’en print pas trop, ne s’en trouva poinct pis.

La femme de l’Appothicaire entendit tout ce discours & pensa en elle mesme qu’elle avoyt nécessité de ceste recepte aussy bien que sa commère, &, regardant au lieu où son mary mectoit le demeurant de la pouldre, pensa qu’elle en useroit quant elle en verroit l’occasion, ce qu’elle feyt, avant trois ou quatre jours, que son mary sentyt une froideur d’esthomac, la priant luy faire quelque bon potage ; mais elle luy dist que une rostie à la pouldre de Duc luy seroyt plus profitable, & luy commanda de luy en aller bientost faire une & prendre de la synammome & du sucre en la bouticque ; ce qu’elle feit & n’oblia le demeurant de la pouldre qu’il avoit baillée à sa commère, sans regarder doze, poix ne mesure.

Le mary mengea la rostie, & la trouva très bonne, mais bientost s’aperçeut de l’effect, qu’il cuyda appaiser avec sa femme, ce qu’il ne fut possible, car le feu le brusloit si très fort qu’il ne sçavoit de quel costé se tourner, & dist à sa femme qu’elle l’avoyt empoisonné & qu’il vouloit savoir qu’elle avoyt mis en ceste rostye. Elle luy confessa la vérité & qu’elle avoyt aussi bon mestier de ceste recepte que sa commère. Le pauvre Apothicaire ne la sçeut batre que d’injures pour le mal en quoy il estoyt, mais la chassa de devant luy & envoya