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LXVIJe NOUVELLE

condemnation que aussy peu favorise l’homme à l’ouvrage de Dieu que la femme, car ne l’un ne l’autre par son cœur & son vouloir ne faict rien que planter, & Dieu seul donne l’accroissement.

— Si vous avez bien veu l’escripture », dist Saffredent, « Sainct Pol dist que Apollo a planté & qu’il a arrousé ; mais il ne parle poinct que les femmes ayent mis les mains à l’ouvrage de Dieu.

— Vous vouldriez suyvre », dist Parlamente, « l’opinion des mauvais hommes qui prennent ung passaige de l’Escripture pour eulx & laissent celluy qui leur est contraire. Si vous avez leu Sainct Pol jusques au bout, vous trouverez qu’il se recommande aux dames qui ont beaucoup labouré avecq luy en l’Évangile.

— Quoy qu’il ayt », dist Longarine, « ceste femme est bien digne de louange, tant pour l’amour qu’elle a porté à son mary, pour lequel elle a hazardé sa vie, que pour la foy qu’elle a eu à Dieu, lequel, comme nous voyons, ne l’a pas habandonnée.

— Je croy », dist Ennasuicte, « quant au premier, il n’y a femme icy qui n’en voulust faire autant pour saulver la vie de son mary.

— Je croy », dist Parlamente, « qu’il y a des mariz qui sont si bestes que celles qui vivent avecq eulx ne doibvent poinct trouver estrange de vivre avecq leurs semblables. »

Ennasuicte ne se peut tenir de dire, comme prenant le propos pour elle : « Mais que les bestes ne me mordent poinct, leur compaignye m’est plus plaisante que des hommes, qui sont collères & insuportables. Mais je suyvrai mon propos que, si mon mary estoit en tel dangier, je ne l’habandonnerois pour morir.