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VIJe JOURNÉE

La pauvre femme, voiant approcher le navire, se tira au bort de la mer, auquel lieu la trouvèrent à leur arrivée. Et, après en avoir rendu louange à Dieu, les mena en sa pauvre maisonnette & leur monstra de quoy elle vivoit durant sa demeure, ce que leur eust esté incroiable sans la congnoissance qu’ilz avoient que Dieu est puissant de nourrir en ung désert ses serviteurs comme aux plus grandz festins du monde.

Et, ne povant demeurer en tel lieu, emmenèrent la pauvre femme avecq eulx droict à La Rochelle, où après ung navigage ilz arrivèrent, &, quand ilz eurent fait entendre aux habitans la fidélité & persévérance de ceste femme, elle fut receue à grand honneur de toutes les Dames qui voluntiers luy baillèrent leurs filles pour aprendre à lire & à escripre, & à cest honneste mestier là gaigna le surplus de sa vie, n’aiant autre desir que d’exhorter ung chacun à l’amour & confiance de Nostre-Seigneur, se proposant pour exemple la grande miséricorde dont il avoyt usé envers elle.


« À ceste heure, mes dames, ne povez vous pas dire que je ne loue bien les vertuz que Dieu a mises en vous, lesquelles se monstrent plus grandes que le subject est plus infime ?

— Mais ne sommes pas marries », dist Oisille, « d’ont vous louez les graces de Nostre Seigneur, car, à dire vray, toute vertu vient de luy ; mais il fault passer