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LXVIJe NOUVELLE

À la longue le mary ne peut porter telle norriture, &, à cause des eaues qu’ilz buvoyent, devint si enflé que en peu de temps il morut, n’aiant service ne consolation que de sa femme, laquelle le servoyt de Médecin & de Confesseur, en sorte qu’il passa joieusement de ce désert en la céleste patrie, & la pauvre femme, demeurée seulle, l’enterra le plus profond en terre qu’il fut possible. Si est ce que les bestes en eurent incontinant le sentyment, qui vindrent pour manger la charogne ; mais la pauvre femme, en sa petite maisonnette, de coups de harquebouze défendoyt que la chair de son mary n’eust tel sépulcre. Ainsy vivant, quant au corps de vie bestiale & quant à l’esperit de vie angélicque, passoyt son temps en lectures, contemplations, prières & oraisons, ayant ung esperit joieulx & content dedans ung corps emmaigry & demy mort ; mais Celluy, qui n’habandonne jamais les siens & qui au désespoir des autres monstre sa puissance, ne permist que la vertu qu’il avoyt mise en ceste femme fût ignorée des hommes, mais voulut qu’elle fût congneue à sa gloire, & feyt que, au bout de quelque temps, ung des navires de ceste armée passant devant ceste isle, les gens qui estoient devant advisèrent quelque fumée, qui leur feit souvenir de ceulx qui y avoient esté laissez & délibérèrent d’aller veoir ce que Dieu en avoyt faict.