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VIJe JOURNÉE

ce meschant traistre, le voulant pugnir comme il l’avoyt merité, ce qui eut esté faict sans sa femme qui avoyt suivy son mary par les perilz de la mer & ne le voulut habandonner à la mort, mais avecq force larmes feit tant avecq le Cappitaine & toute la Compaignie que, tant pour la pitié d’icelle que pour le service qu’elle leur avoyt faict, luy accorda sa requeste, qui fut telle que le mary & la femme furent laissez en une petite isle sur la mer, où il n’abitoit que bestes sauvaiges, & leur fut permis de porter avecq eulx ce dont ilz avoient necessité.

Les pauvres gens, se trouvans tous seulz en la compagnye des bestes saulvaiges & cruelles, n’eurent recours que à Dieu seul qui avoyt esté toujours ferme espoir de ceste pauvre femme, &, comme celle qui avoyt toute consolation en Dieu, porta pour sa saulve garde, norriture & consolation le Nouveau Testament, lequel elle lisoyt incessament. Et, au demourant, avecq son mary mectoit peine d’accoustrer ung petit logis le mieulx qu’il leur estoit possible, &, quant les lyons & aultres bestes en approchoient pour les dévorer, le mary avecq sa harquebuze & elle avecq des pierres se defendoient si bien que non seullement les bestes ne les osoient approcher, mais bien souvent en tuèrent de très bonnes à manger. Ainsy avecq telles chairs & les herbes du païs vesquirent quelque temps, quant le pain leur fut failly.