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VIJe JOURNÉE

C’est requérir Celluy dont fuz requise,
Et d’acquérir Celluy dont fuz acquise.
Or doncques, amy, la vie de ma vie,
Lequel perdant n’ay plus de vivre envie,
Las, plaise toy vers moy tes œilz tourner
Et du chemyn où tu es retourner.
Laisse le gris & son austérité ;
Viens recepvoir ceste félicité
Qui tant de foys par toy fut desirée.
Le temps ne l’a deffaicte ou emportée :
C’est pour toy seul que gardée me suis
Et sans lequel plus vivre je ne puys.
Retourne doncq ; veulle t’amye croyre,
Rafreichissant la plaisante mémoire
Du temps passé par ung sainct mariage.
Croy moy, amy, & non poinct ton courage,
Et soys séur que oncques ne pensay
De faire rien où tu fusse offensé,
Mais espèrois te rendre contanté
Après t’avoir bien expérimenté.
Or ay je faict de toy l’expérience ;
Ta fermeté, ta foy, ta patience
Et ton amour sont congneuz clairement,
Qui m’ont acquise à toy entièrement.
Viens doncques, amy, prendre ce qui es tien :
Je suis à toy ; sois doncques du tout myen.

Ceste Epistre, portée par ung sien amy avecq toutes les remonstrances qu’il fut possible de faire, fut reçeue & leue du Gentil homme Cordelier avecq une contenance tant triste, accompaignée de souspirs & de larmes, qu’il sembloyt qu’il vouloit