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VIJe JOURNÉE

volunté ; mais elle, ou cuydant trouver mieulx, ou voulant dissimuller l’amour qu’elle luy avoyt portée, trouva quelque difficulté, tellement que la compaignye assemblée se départyt non sans regret & qu’elle n’y avoyt peu mettre quelque bonne conclusion, congnoissant le party d’un costé & d’autre fort raisonnable. Mais sur tout fut ennuyé le pauvre Gentil homme, qui eut porté son mal patiemment s’il eût pensé que la faulte fût venue des parens & non d’elle, &, congnoissant la vérité, dont la créance luy causoyt plus de mal que la mort, sans parler à s’amye ne à aultre se retira en sa maison &, après avoir donné quelque ordre à ses affaires, s’en alla en ung lieu sollitaire, où il myst peyne d’oblyer ceste amityé & la convertit entièrement en celle de Nostre Seigneur, à laquelle il estoit plus obligé. Et durant ce temps là il n’eut aucunes nouvelles de sa Dame ne de ses parens, par quoy print résolution, puisqu’il avoyt failly à la vie la plus heureuse qu’il povoyt espérer, de prendre & choisir la plus austère & désagréable qu’il pourroyt ymaginer, &, avecq ceste triste pensée qui se povoyt nommer désespoir, s’en alla randre Religieux en ung monastère de Sainct Françoys, non loing de plusieurs de ses parens, lesquelz, entendans sa désespérance, feirent tout leur effort d’empescher sa délibération, mais elle estoyt si très fermement fondée en son cueur qu’il