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VIJe JOURNÉE

qu’elle veid son mary mieulx l’aymant & moins la soupsonnant, vat feindre d’estre malade & continua si bien ceste faincte que son pauvre mary estoit en merveilleuse peyne, n’espargnant bien ne chose qu’il eût pour la secourir.

Toutesfoys elle joua si bien son roolle que luy & tous ceulx de la maison la pensoient malade à l’extrémité & que peu à peu elle s’affoiblissoit, &, voyant que son mary en estoit aussi marry qu’il en debvoit estre joieulx, le pria qu’il luy pleust l’auctoryser de faire son testament, ce qu’il feyt voluntiers en pleurant.

Et elle, ayant puissance de tester, combien qu’elle n’eût enffans, donna à son mary ce qu’elle luy povoyt donner, luy requérant pardon des faultes qu’elle luy avoyt faictes ; après envoya quérir le Curé, se confessa, reçeut le sainct Sacrement de l’autel tant dévotement que chacun ploroit de veoir une si glorieuse fin &, quant se vint le soir, elle pria son mary de luy envoier quérir l’extrême unction & qu’elle s’affoiblissoit tant qu’elle avoit paour de ne la povoir recepvoir vive. Son mary en grande diligence la luy feit apporter par le Curé, & elle, qui la reçeut en grande humilité, incitoit chacun à la louer.

Quant elle eut faict tous ses beaulx mistères, elle dist à son mary que, puisque Dieu luy avoyt faict la grace d’avoir prins tout ce que l’Église com-