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VJe JOURNÉE

alloyt de la ville de Paris & ne povoyt plus veoir le Chantre, se délibèra d’habandonner son mary & de le suyvre, à quoy le Chantre s’accorda & la mena en une maison qu’il avoyt auprès de Bloys, où ils vesquirent ensemble long temps. Le pauvre mary trouvant sa femme adirée, la chercha de tous costez ; mais en fin luy fut dict qu’elle s’en estoit allé avecq le Chantre.

Luy, qui vouloit recouvrer sa brebis perdue dont il avoyt faict très mauvaise garde, luy rescripvit force lettres, la priant retourner à luy & qu’il la reprendroit si elle vouloyt estre femme de bien. Mais elle, qui prenoit si grand plaisir d’oyr le chant du Chantre avec lequel elle estoyt qu’elle avoyt oblyé la voix de son mary, ne tint compte de toutes ses bonnes parolles, mais s’en mocqua ; dont le mary courroucé luy feit sçavoir qu’il la demanderoit par Justice à l’Église, puis que aultrement ne vouloit retourner avecq luy.

Ceste femme, craignant que, si la Justice y mectoyt la main, elle & son Chantre en pourroient avoir à faire, pensa une cautelle digne d’une telle main &, feignant d’estre malade, envoia quérir quelques femmes de bien de la ville pour la venir visiter ; ce que voluntiers elles feirent, espérans par ceste malladie la retirer de sa mauvaise vie, & pour ceste fin chacun luy faisoyt les plus