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LVIJe NOUVELLE

Jamais d’amoureus couard
N’oyez bien dire.

— Pensés que ceste povre Dame, » dit Saffredent, « retira sa main bien hativement quant elle sentit que le cœur luy batoit, car elle cuydoyt qu’il deust trespasser, & l’on dist qu’il n’est rien que les femmes hayssent plus que de toucher les mortz.

— Si vous aviez autant hanté les hospitaulx que les tavernes, » ce luy dist Ennasuicte, « vous ne tiendriez pas ce langaige, car vous verriez celles qui ensepvlissent les trespassez, dont souvent les hommes, quelque hardis qu’ilz soient, craingnent à toucher.

— Il est vrai, » dist Saffredent, « qu’il n’y a nul à qui l’on ne donne pénitence qui ne faict le rebours de ce à quoy ilz ont prins plus de plaisir, comme une Damoiselle, que je veiz en une bonne maison, qui, pour satisfaire au plaisir qu’elle avoyt eu au baiser de quelqu’un qu’elle aymoyt, fut trouvée au matin, à quatre heures, baisant le corps mort d’un Gentil homme qui avoyt esté tué le jour de devant, lequel elle n’avoyt poinct plus aymé que ung aultre, & à l’heure chacun congneut que c’estoyt pénitence des plaisirs passez. Comme toutes les bonnes euvres que les femmes font sont estimées mal entre les hommes, je suis d’opinion que, mortz ou vivans, on ne les doibt jamais baiser, si ce n’est ainsy que Dieu le commande.

— Quant à moy, » dist Hircan, « je me soucy si peu de baiser les femmes, hors mys la mienne,