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LVe NOUVELLE

dict que nous sommes le temple de Dieu où il veult habiter, ilz eussent mys peine d’orner leur conscience durant leur vye & n’atendre pas à l’heure que l’homme ne peult plus faire bien ne mal, & encores, qui pis est, charger ceulx qui demeurent à faire leurs aulmosnes à ceulx qu’ilz n’eussent pas daigné regarder leur vie durant. Mais celluy qui congnoist le cueur ne peut estre trompé & les jugera, non seullement selon les œvres, mais selon la foy & charité qu’ilz ont eues à luy.

— Pourquoy doncques est ce, » dist Geburon, « que ces Cordeliers & Mendians ne nous chantent à la mort que de faire beaucoup de biens à leurs monastères, nous asseurans qu’ilz nous mectront en Paradis, veullons ou non ?

— Comment, Geburon, » dist Hircan, « avez vous oblyé la malice que vous nous avez comptée des Cordeliers pour demander comment il est possible que telles gens puissent mentir ? Je vous déclaire que je ne pense poinct qu’il y ait au monde plus grands mensonges que les leurs. Et encores ceulx ci ne peuvent estre reprins qui parlent pour le bien de toute la Communaulté ensemble, mais il y en qui oblient leur veu de pauvreté pour satisfaire à leur avarice.

— Il me semble, Hircan, » dist Nomerfide, « que vous en sçavez quelqu’un ; je vous prie, s’il est digne de ceste compaignie, que vous nous le veulliez dire.

— Je le veulx bien, » dist Hircan, « combien qu’il me fasche de parler de ces gens là, car il me semble qu’ilz sont du rang de ceulx que Virgille dist à Dante :