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VJe JOURNÉE

Quant l’enterrement fut faict & les premières larmes gectées, la femme, qui n’estoyt non plus sotte que les Espagnolles ont accoustumé d’estre, s’en vint au serviteur qui avoyt comme elle entendu la volunté de son maistre :

« Il me semble que j’ay assez faict de pertes de la personne du mary que j’ay tant aymé sans maintenant perdre les biens. Si est ce que je ne vouldroys desobéyr à sa parolle, mais ouy bien faire meilleure son intention ; car le pauvre homme, séduict par l’avarice des Prestres, a pensé faire grand sacrifice à Dieu de donner après sa mort une somme dont en sa vie n’eust voulu pas donner un escu en extrême nécessité, comme vous sçavez. Par quoy j’ay advisé que nous ferons ce qu’il a ordonné par sa mort & encores mieulx qu’il n’eust faict, s’il eut vescu quinze jours davantaige, mais il fault que personne du monde n’en scache rien. »

Et, quant elle eut promesse du serviteur de le tenir secret, elle luy dist : « Vous irez vendre son cheval, & à ceulx qui vous diront : Combien, vous leur direz : Un ducat ; mais j’ay ung fort bon chat que je veulx aussi mectre en vente, que vous vendrez quant & quant pour quatre vingt dix neuf ducatz, & ainsy le chat & le cheval feront tous deux cent ducatz que mon mary vouloit vendre son cheval seul. »