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LIIJe NOUVELLE

peuvent croire que ung homme puisse aymer une Dame par honneur ; & leur semble que, s’ilz sont subjectz à leur plaisir, que chacun est semblable à eulx. Mais, si nous estions tous de bonne foy, le regard & la parolle n’y seroient poinct dissimullez, au moins à ceulx qui aymeroient mieulx mourir que d’y penser quelque mal.

— Je vous asseure, Dagoucin, » dist Hircan, « que vous avez une si haute philosophie qu’il n’y a homme icy qui l’entende ne le croye, car vous nous vouldriez faire acroyre que les hommes sont Anges, ou pierres, ou Diables.

— Je sçay bien, » dist Dagoucin, « que les hommes sont hommes & subjectz à toutes passions, mais si est ce qu’il y en a qui aymeroient mieulx mourir que pour leur plaisir leur Dame feist quelque chose contre sa conscience.

— C’est beaucoup que mourir, » dist Geburon ; « je ne croiray ceste parolle quand elle seroit dicte de la bouche du plus austère Religieux qui soit.

— Mais je croy, » dist Hircan, « qu’il n’y en a poinct qui ne desire le contraire. Toutesfois ilz font semblant de n’aymer poinct les raisins, quant ilz sont si haults qu’ilz ne les peuvent cueillir.

— Mais, » dist Nomerfide, « je croy que la femme de ce Prince fut bien aise dont son mary apprenoit à congnoistre les femmes.

— Je vous asseure que non fut, » dist Ennasuicte, « mais en fut très marrye pour l’amour qu’elle luy portoit.

— J’aymerois autant, » dist Saffredent, « celle qui ryoit quand son mary baisoit sa Chamberière.