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Le NOUVELLE

— Si est-ce, » dist Saffredent, que celle qui refuse son pain au pauvre mourant de faim est estimée le meurtrier.

— Si vos requestes, » dist Oisille, « estoient si raisonnables que celles du pauvre demandant sa nécessité, les Dames seroient trop cruelles de vous refuser, mais, Dieu mercy, ceste maladie ne tue que ceulx qui doibvent morir dans l’année.

— Je ne treuve poinct, Madame, » dist Saffredent, « qu’il soyt une plus grande nécessité que celle qui faict oblier toutes les aultres ; car, quant l’amour est forte, on ne congnoist autre pain ne aultre viande que le regard & la parolle de celle que l’on ayme.

— Qui vous laisseroyt jeuner, » dist Oisille, « sans vous bailler aultre viande, on vous feroit bien changer de propos.

— Je vous confesse, » dist-il, « que le corps pourroit défaillir, mais le cueur & la volunté non.

— Doncques, » dist Parlamente, « Dieu vous a faict grand grâce de vous faire addresser en lieu où vous avez si peu de contentement qu’il vous fault reconforter à boire & à manger, dont il me semble que vous vous acquitez si bien que vous devez louer Dieu d’une si doulce cruaulté.

— Je suis tant nourry au torment, » dist il, que je commence à me louer des maulx dont les aultres se plaignent.

— Peut estre c’est, » dist Longarine, « que nostre plaincte vous recule de la compaignye où vostre contentement vous faict estre le bien venu, car il n’est rien si fascheux que ung amoureux importun.

— Mectez, » dist Simontault, « que une dame cruelle…