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Ve JOURNÉE

béré de ne poursuivre plus en vain le bien dont la poursuicte consumoit sa vie, &, pour en cuyder divertir sa fantaisie, fut quelques jours sans la veoir, dont il tomba en telle tristesse que l’on mescongnoissoit son visaige. Ses parens feirent venir les Médecins, qui, voyans que le visaige luy devenoit jaulne, estimèrent que c’estoit une oppilation de foye & luy ordonnèrent la seignée.

Ceste Dame, qui avoit tant faict la rigoureuse, sçachant très bien que la maladie ne luy venoyt que par son refuz, envoia devers luy une vieille, en qui elle se fyoit, & luy manda que, puis qu’elle congnoissoit que son amour estoit véritable & non faincte, elle estoit délibérée de tout luy accorder ce que si long temps luy avoyt refusé. Elle avoyt trouvé moïen de saillir de son logis en ung lieu où privément il la povoit veoir.

Le gentil homme, qui au matin avoit esté seigné au bras, se trouva par ceste parolle mieulx guéry qu’il ne faisoyt par médecine ne seignée qu’il sçeut prendre, luy manda qu’il n’y auroit poinct de faulte qu’il ne se trouvast à l’heure qu’elle luy mandoyt & qu’elle avoyt faict ung miracle évident, car par une seule parolle elle avoyt guéry ung homme d’une malladye où tous les Médecins ne pouvoient trouver remède.

Le soir venu qu’il avoit tant desiré, s’en alla le Gentil homme au lieu qui luy avoit esté ordonné,