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IJe JOURNÉE

retournant, advisa encores le mary estant à la fenestre, qui l’avoit vu entrer & saillir. Par quoy le lendemain luy compta l’occasion pourquoy il estoit toit allé veoir sa femme & le commandement que le Roy luy avoit faict, dont le Gentil homme en fut fort content & en remercia le Roy.

Mais, voyant que sa femme tous les jours embellissoit & luy devenoit vieil & amoindrissoit sa beaulté, commença à changer de roole, prenant celuy que long temps il avoit faict jouer à sa femme, car il cherchoit plus que de coustume & prenoit garde sur elle. Mais de tant plus elle le fuyoit qu’elle se voyoit cherchée de luy, desirant luy rendre partie des ennuiz qu’elle avoit euz pour estre de luy peu aymée.

Et pour ne perdre si tost le plaisir que l’amour luy commençoit à donner, se va addresser à un jeune Gentil homme, tant si très beau, bien parlant & de si bonne grace qu’il estoit aymé de toutes les Dames de la Court, &, en luy faisant ses complainctes de la façon comme elle avoit esté traictée, l’incita d’avoir pitié d’elle, de sorte que le Gentil homme n’oublia rien pour essayer à la reconforter. Et elle, pour se recompenser de la perte d’un Prince qui l’avoit laissée, se meit à aymer si fort ce Gentil homme qu’elle oublia son ennuy passé & ne pensa sinon à finement conduire son amitié, ce qu’elle sçeut si bien faire que jamais sa