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XVe NOUVELLE

retirée en son logis, où logeoit le Gentil homme en une chambre sur la sienne. Et, estant au soir à la fenestre, veid entrer ce Prince en la chambre de sa femme, qui estoit soubs la sienne, mais le Prince, qui bien l’advisa, ne laissa d’y entrer, &, en disant adieu à celle dont l’amour ne faisoit que commencer, luy allégua pour toutes raisons le commandement du Roy.

Après plusieurs larmes & regrets qui durèrent jusques à une heure après minuict, la Dame luy dist pour conclusion : « Je loue Dieu, Monseigneur, d’ont il luy plaist que vous perdiez ceste opinion, puisqu’elle est si petite & foible que vous la pouvez prendre & laisser par le commandement des hommes. Car, quant à moy, je n’ay point demandé congé ny à maistresse, ny à mary, ny à moy mesmes pour vous aimer ; car Amour, s’aidant de vostre beaulté & de vostre honnesteté, a eu telle puissance sur moy que je n’ay congneu aultre Dieu ne aultre Roy que luy. Mais, puis que vostre cueur n’est pas si remply de vraye amour que craincte n’y trouve encores place, vous ne pouvez estre amy parfaict, & d’un imparfaict je ne veulx poinct faire amy aymé parfaictement comme j’avois délibéré faire de vous. Or, adieu, Monseigneur, duquel la craincte ne mérite la franchise de mon amitié. »

Ainsi s’en alla pleurant ce Seigneur &, en se