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IJe JOURNÉE

che de la maistresse de ceste Dame & qui souvent la fréquentoit, entendant l’estrange façon dont le mary la traictoit, en eut tant de pitié qu’il se voulut essayer à la consoler &, en parlant avecq elle, la trouva si belle, si saige & si vertueuse, qu’il desira beaucoup plus d’estre en sa bonne grace que de luy parler de son mary, sinon pour luy monstrer le peu d’occasion qu’elle avoit de l’aymer.

Ceste Dame, se voyant délaissée de celuy qui la debvoit aymer &, d’autre costé, aymée & requise d’un si beau Prince, se tint bien heureuse d’estre en sa bonne grace. Et combien qu’elle eust tousjours desir de conserver son honneur, si prenoit elle grand plaisir de parler à luy & de se veoir aymée & estimée, chose dont quasi elle estoit affamée. Ceste amitié dura quelque temps, jusques à ce que le Roy s’en apperçeut, qui portoit tant d’amour au Gentil homme qu’il ne vouloit souffrir que nul luy feist honte ou desplaisir. Par quoy il pria bien fort ce Prince d’en vouloir oster sa fantaisie & que, s’il continuoit, il seroit très mal content de luy.

Ce Prince, qui aimoit trop mieulx la bonne grace du Roy que toutes les Dames du monde, luy promist pour l’amour de luy d’abandonner son entreprinse & que dès le soir il iroit prendre congé d’elle, ce qu’il feit si tost qu’il sçeut qu’elle estoit