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XIIIJe NOUVELLE

seullement elle estoit contente, mais emerveillée de la grandeur de son amour, qui l’avoit gardé une heure sans luy pouvoir respondre.

À l’heure, il se print à rire bien fort, luy disant : « Or sus, ma Dame, me refuserez vous une aultre fois, comme vous avez accoustumé de faire jusques icy ? » Elle, qui la congneut à la parole & au ris, fut si desesperée d’ennuy, de honte, qu’elle l’appella plus de mille fois meschant, traistre & trompeur, se voulant jeter du lict à bas pour chercher un cousteau à fin de se tuer, veu qu’elle estoit si malheureuse qu’elle avoit perdu son honneur pour un homme qu’elle n’aymoit poinct & qui, pour se venger d’elle, pourroit divulguer ceste affaire par tout le monde.

Mais il la retint entre ses bras, & par bonnes & doulces paroles l’asseura de l’aymer plus que celuy qui l’aimoit & de céler ce qui touchoit son honneur si bien qu’elle n’en auroit jamais blasme. Ce que la pauvre sotte creut, &, entendant de luy l'invention qu’il avoit trouvée & la peine qu’il voit prinse pour la gaingner, luy jura qu’elle l'aymeroit mieux que l’aultre, qui n’avoit sçeu celer son secret, & qu’elle congnoissoit bien le contraire du faulx bruict que l’on donnoit aux François, car ils estoient plus saiges, persévérans & secrets que les Italiens, parquoy doresnavant elle se deparoit de l’opinion de ceulx de sa nation