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XIIIJe NOUVELLE

parfaictement qu’après sa Dame c’estoit la créature du monde qu’il aimoit le plus. Le Seigneur de Bonnivet, pour luy arracher son secret du cueur, faingnit de luy dire le sien & qu’il aimoit une Dame, où jamais n’avoit pensé, le priant le tenir secret & qu’ils n’eussent tous deus que ung cueur & une pensée. Le pauvre Gentil homme, pour luy monstrer l’amour réciproque, luy va declairer tout du long celle qu’il portoit à la Dame dont Bonnivet se vouloit venger, & une fois le jour s’assembloient en quelque lieu tous deux pour rendre compte des bonnes fortunes advenues le long de la journée, ce que l’un faisoit en mensonge & l’autre en vérité. Et confessa le Gentil homme avoir aymé trois ans ceste Dame sans en avoir riens eu, sinon bonnes paroles & asseurance d’estre aymé.

Le dict de Bonnivet lui conseilla tous les moyens qu’il luy fut possible pour parvenir à son intention, dont il se trouva si bien que en peu de jours elle luy accorda tout ce qu’il demandoit. Il ne restoit que de trouver le moyen, ce que bien tost par le conseil du Seigneur de Bonnivet fut trouvé. Et ung jour avant souper lui dist le Gentil homme : « Monsieur, je suis plus tenu à vous qu’à tous les hommes du monde, car par vostre bon conseil j’espère avoir ceste nuict ce que tant d’années j’ay desiré.