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XIIJe NOUVELLE

De me veoir seul & de mon secours loing,
Et lors m’a dict qu’il estoit de besoing
De le laisser aller s’esvertuer
De se monstrer ou bien de me tuer,
Et a plus faict, car il s’est venu mettre
Au beau milieu de ceste mienne lettre,
Et dist que, puis que mon œil ne peut veoir
Celle qui tient ma vie en son pouvoir,
Dont le regard sans plus me contantoit
Quand son parler mon oreille escoutoit,
Que maintenant par force il saillira
Devant tes yeulx, ou point ne faillira
De te monstrer mes plaincts & mes clameurs,
Dont le celer est cause que je meurs.
Je l’ay voulu de ce papier oster,
Craingnant que point ne voulusse escouter
Ce sot parler qui se monstre en absence,
Qui trop estoit craintif en ta présence,
Disant : « Mieulx vault, en me taisant, mourir
Que de vouloir ma vie secourir
Pour ennuyer celle que j’aime tant
Que de mourir pour son bien suis content ! »
D’autre costé, ma mort pourroit porter
Occasion de trop desconforter
Celle pour qui seulement j’ay envie
De conserver ma santé & ma vie.
Ne t’ay je pas, o ma Dame, promis
Que, mon voiage à fin heureuse mis,
Tu me verrois devers toy retourner
Pour ton mary avec toy emmener
Au lieu où tant a de devotion
Pour prier Dieu sur le mont de Syon ?
Si je me meurs, nul ne t’y mènera ;
Trop de regret ma mort ramènera,
Voyant à riens tourner nostre entreprinse