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IIIJe JOURNÉE

Sa femme, qui surtout aymoit sa vie & sa santé, le voiant revenir ordinairement en si mauvais estat, s’en alla en la mestayrie, où elle trouva la jeune femme que son mary aymoyt, à laquelle sans collère, mais d’un très gratieux courage, dist qu’elle sçavoyt bien que son mary la venoit veoir souvent, mais qu’elle estoyt mal contante de ce qu’elle le traictoyt si mal qu’il s’en retournoyt tousjours morfondu en la maison. La pauvre femme, tant pour la révérence de sa Dame que pour la force de la vérité, ne luy peut nyer le faict, duquel elle luy requist pardon.

La Dame voulut veoir le lict & la chambre où son mary couchoyt, qu’elle trouva si froide & sale & mal en poinct qu’elle en eust pitié. Incontinant envoia quérir ung bon lict garny de linceux, mante & courtepoincte, selon que son mary l’aymoyt ; feit accoustrer & tapisser la chambre, luy donna de la vaisselle honneste pour le servir à boyre & à manger, une pippe de bon vin, des dragées & confitures, & pria la Mestayère qu’elle ne luy renvoiast plus son mary si morfondu.

Le mary ne tarda guères qu’il ne retournast, comme il avoyt accoustumé, veoir sa Mestayère, & s’esmerveilla fort de trouver son pauvre logis si bien en ordre, & encores plus quant elle luy donna à boyre en une couppe d’argent, & luy demanda d’ont estoient venuz tous ses biens. La pauvre