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IIIJe JOURNÉE

années à advenir &, sçachant qu’il estoit loyal, espéroyt luy faire autre bien.

Quant le serviteur s’en fut allé pleurant, le Président feyt saillyr Nicolas de son cabinet &, après avoir dict à sa femme & à luy ce qu’il luy sembloyt de leur meschanceté, leur défendit de faire aucun semblant à personne, & commanda à sa femme de s’abiller plus gorgiasement qu’elle n’avoyt accoustumé & se trouver en toutes compaignyes, dances & festes, & à Nicolas qu’il eust à faire meilleure chère qu’il n’avoyt faict auparavant, mais que, si tost qu’il luy diroit à l’oreille : « Va t’en », qu’il se gardast bien de demeurer à la Ville trois heures après son commandement, &, ce faict, s’en retourna au Palais, sans faire semblant de rien. Et, durant quinze jours, contre sa coustume, se meist à festoier ses amys & voisins, & après le bancquet avoyt des tabourins pour faire dancer les Dames.

Ung jour — il voyoit que sa femme ne dansoyt poinct, commanda à Nicolas de la mener dancer, lequel, cuydant qu’il eust oblyé les faultes passées, la mena dancer joieusement ; mais, quant la dance fut achevée, le Président, faingnant luy commander quelque chose en sa maison, luy dist à l’oreille : « Va t’en, & ne retourne jamays. » Or fut Nicolas bien marry de laisser sa Dame, mais non moins joieulx d’avoir la vie saulve.

Après que le Président eut mis en l’opinion de