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XXXVe NOUVELLE

— Madame, » respondit Parlamente, « il y a assez d’hommes estimez hommes de bien ; mais estre hommes de bien envers les Dames, garder leur honneur & conscience, je croy que de ce temps ne s’en trouveroyt point jusques à ung, & celles qui se fient, le croyant autrement, s’en trouvent en fin trompées & entrent en ceste amityé de par Dieu dont bien souvent ilz en saillent de par le Diable, car j’en ay assez veu qui, soubz couleur de parler de Dieu, commençoient une amityé dont à la fin se vouloient retirer & ne povoient, pour ce que l’honneste couverture les tenoit en subjection ; car une amour vitieuse de soy mesmes se défaict & ne peut durer en ung bon cueur, mais la vertueuse est celle qui a les liens de soie si déliez que l’on en est plus tost prins que l’on ne les peut veoir.

— Ad ce que vous dictes, » dist Ennasuicte, « jamais femme ne vouldroyt aymer homme ; mais vostre loy est si aspre qu’elle ne durera pas.

— Je le sçay bien, » dist Parlamente, « mais je ne lairray pour cella desirer que chascun se contentast de son mary comme je faictz du mien. »

Ennasuicte, qui par ce mot se sentyt touchée, en changeant de couleur luy dist : « Vous debvez juger que chacun a le cueur comme vous, ou vous pensez estre plus parfaicte que toutes les autres.

— Or, » ce dist Parlamente, « de paour d’entrer en dispute, sçachons à qui Hircan donnera sa voix.

— Je la donne, » dist-il, « à Ennasuicte pour la récompenser contre ma femme.

— Or, puisque je suis en mon rang, » dist Ennasuicte, « je n’espargneray homme ne femme, afin de faire tout