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XXXVe NOUVELLE

que tout estoyt pour l’amour d’elle, &, tant que ses œilz povoient monstrer ce qu’elle pensoyt, elle ne les espargnoyt pas. Le mary ne falloyt poinct à lui faire pareille response.

Après Pasques, il luy rescripvit au nom du Prescheur, qui la prioyt luy enseigner le moïen qu’il la peust veoir secrettement. Elle, à qui l’heure tardoyt, conseilla à son mary d’aller visiter quelques terres qu’ilz avoient dehors, ce qu’il luy promist, & demeura caché en la maison d’ung sien amy. La Dame ne faillyt poinct d’escripre au Prescheur qu’il estoyt heure de la venir veoir parce que son mary estoit dehors.

Le Gentil homme, voulant expérimenter jusques au bout le cueur de sa femme, s’en alla au Prescheur, le priant, pour l’amour de Dieu, luy vouloir prester son habit. Le Prescheur, qui estoit homme de bien, luy dist que leur Reigle le défendoyt & que pour rien ne le presteroyt pour servir en Masques. Le Gentil homme l’asseura qu’il n’en vouloyt poinct abuser & que c’estoyt pour chose nécessaire à son bien & salut. Le Cordelier, qui le congnoissoyt homme de bien & dévot, luy presta, & avecq cest habit, qui couvroyt tout le visaige en sorte que l’on ne povoyt veoir les œilz, print le Gentil homme une faulse barbe & ung faulx nez semblables à ceux du Prescheur ; aussy avecq du liège se feyt de sa propre grandeur.