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IIIJe JOURNÉE

femme feist ung marché sans luy, asseura le Paige qu’il n’auroit nul mal, s’il luy disoyt vérité, & qu’il lui feroyt tout plain de bien, aussy que, s’il mentoyt, il le mectroyt en prison pour jamais. Le petit Paige, pour avoir du bien & pour éviter le mal, luy compta tout le faict & luy monstra les lectres que sa Maistresse escripvoit au Prescheur, dont le mary fut autant esmerveillé & marry comme il avoyt esté tout asseuré toute sa vie de la loyaulté de sa femme, où jamais n’avoyt congneu faulte.

Mais luy, qui estoyt saige, dissimula sa collère &, pour congnoistre du tout l’intention de sa femme, va faire une response comme si le Prescheur la mercyoit de sa bonne volunté, luy déclarant qu’il n’en avoyt moins de son costé. Le Paige, ayant juré à son Maistre de mener saigement cest affaire, alla porter à sa Maistresse la lectre contrefaicte, qui en eut telle joye que son mary s’apperçeut bien qu’elle avoyt changé son visaige, car, en lieu d’enmagrir pour le jeusne du Karesme, elle estoyt plus belle & plus fresche que à Karesme prenant.

Desjà estoyt la my Karesme que la Dame ne laissa, ne pour Passion ne pour Sepmaine saincte, sa manière accoustumée de mander par lectres au Prescheur sa furieuse fantaisye, & luy sembloyt, quant le Prescheur tournoit les œilz du costé où elle estoyt ou qu’il parloyt de l’amour de Dieu,