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IJe JOURNÉE

nemy que j’aye en ce monde ? » L’autre, ignorant ce qu’il vouloit faire, luy respondist : « Ouy, Monsieur, fust ce contre le Duc mesme. » À l’heure le Gentil homme le mena si soubdain qu’il n’eut loisir de prendre autres armes que ung poignart qu’il avoit. Et, quand le Duc l’ouyt revenir, pensant qu’il luy amenast celle qu’il aimoit tant, ouvrit son rideau & ses œilz pour regarder & recepvoir le bien qu’il avoit tant attendu, mais, en lieu de veoir celle dont il espéroit la conservation de sa vie, va veoir la précipitation de sa vie, qui estoit une espée toute nue que le Gentil homme avoit tirée, de laquelle il frappa le Duc qui estoit tout en chemise, lequel, denué d’armes & non de cueur, se meist en son séant dedans le lict & print le Gentil homme à travers le corps en luy disant : « Est ce cy la promesse que vous me tenez ? » Et, voiant qu’il n’avoit autres armes que les dentz & les ongles, mordit le Gentil homme au poulce & à force de bras se deffendit tant que tous deux tombèrent en la ruelle du lict.

Le Gentil homme, qui n’estoit trop asseuré, appella son serviteur, lequel, trouvant le Duc & son maistre si liez ensemble qu’il ne sçavoit lequel choisir, les tira tous deux par les piedz au meillieu de la place, & avec son poignard s’essaya à coupper la gorge au Duc, lequel se défendit jusques ad ce que la perte de son sang le rendist si foible qu’il