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XXXIIIJe NOUVELLE

Nomerfide ne nous feroyt poinct pleurer, mais bien fort rire, en quoy il me semble que chacun de nous s’est bien acquicté.

— Et qu’est-ce à dire ? » dist Oisille, « que nous sommes plus enclins à rire d’une follye que d’une chose sagement faicte.

— Pour ce, » dist Hircan, « qu’elle nous est plus agréable, d’autant qu’elle est plus semblable à nostre nature qui de soy n’est jamais saige, & chacun prent plaisir à son semblable, les folz aux folyes & les saiges à la prudence. Je croy, » dist-il, « qu’il n’y a ne saiges ne folz qui se sçeussent garder de rire de ceste histoire.

— Il y en a, » dist Geburon, « qui ont le cueur tant adonné à l’amour de sapience que, pour choses qu’ilz sçeussent oyr, on ne les sçauroyt faire rire, car ilz ont une joye en leurs cueurs & un contentement si modéré que nul accident ne les peut muer.

— Où sont ceux-là ? » dist Hircan.

— Les Philosophes du temps passé », respondit Geburon, « dont la tristesse & la joye est quasi poinct sentye, au moins n’en monstroyent ilz nul semblant, tant ilz estimoient grand vertu se vaincre eulx mesmes & leur passion, & je trouve aussi bon comme ilz font de vaincre une passion vicieuse ; mais d’une passion naturelle, qui ne tend à nul mal, ceste vicoire là me semble inutille.

— Si est ce, » dist Geburon, « que les Anciens estimoient ceste vertu grande.

— Il n’est pas dict aussi, » respondit Saffredent, « qu’ilz fussent tous saiges, mais y en avoit plus d’apparence de sens & de vertu qu’il n’y avoyt d’effect.