Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/336

Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
IIIJe JOURNÉE

aller veoir nos Cordeliers, car il y en a ung bien gras, lequel il nous fault tuer ; nous le sallerons incontinant & en ferons bien nostre proffict. »

Et, combien qu’il entendoyt de ses pourceaulx, lesquelz il appelloit Cordeliers, si est ce que les deux pauvres Frères, qui oyoient ceste conjuration, se tindrent tout asseurez que c’estoyt pour eulx & en grande paour & craincte attendoient l’aube du jour.

Il y en avoyt ung d’eulx fort gras & l’autre assez maigre. Le gras se vouloyt confesser à son compaignon, disant que ung Boucher, ayant perdu l’amour & craincte de Dieu, ne feroyt non plus de cas de l’assommer que ung beuf ou autre beste, &, veu qu’ilz estoient enfermez en leur chambre, de laquelle ilz ne povoient sortir sans passer par celle de l’Hoste, ilz se debvoient tenir bien seurs de leur mort & recommander leurs âmes à Dieu. Mais le jeune, qui n’estoit pas si vaincu de paour que son compaignon, luy dist que, puysque la porte leur estoyt fermée, falloyt essayer à passer par la fenestre & que aussy bien ilz ne sçauroient avoir pis que la mort, à quoy le gras s’accorda.

Le jeune ouvrit la fenestre &, voyant qu’elle n’estoyt trop haulte de terre, saulta legièrement en bas & s’enfuyt le plus tost & le plus loing qu’il peut, sans attendre son compaignon, lequel essaya le dangier ; mais la pesanteur le contraingnyt de