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IIIJe JOURNÉE

plus, en devint si fort amoureux qu’il en perdit boyre, manger & toute raison naturelle. Et ung jour, délibérant d’exécuter son entreprinse, s’en alla tout seul en la maison du Gentil homme &, ne le trouvant poinct, demanda à la Damoiselle où il estoyt allé. Elle luy dist qu’il estoyt allé en une terre, où il debvoyt demeurer deux ou trois jours, mais que, s’il avoyt affaire à luy, qu’elle luy envoyroit homme exprès. Il dit que non, & commencea à aller & venir par la maison comme homme qui avoyt quelque affaire d’importance en son entendement.

Et, quand il fut sailly hors de la chambre, elle dist à l’une de ses femmes, dont elle n’avoyt que deux : « Allez après le beau Père & sçachez que c’est qu’il veult, car je luy trouve le visaige d’un homme qui n’est pas content. »

La Chamberière s’en vat à la court luy demander s’il voulloyt riens ; il luy dist que ouy &, la tirant en ung coing, print ung poignart qu’il avoyt en sa manche, & luy mist dans la gorge. Ainsy qu’il eut achevé, arriva en la court ung serviteur à cheval, lequel venoit de quérir la rente d’une ferme. Incontinant qu’il fut à pied, salua le Cordelier, qui, en l’embrassant, luy mist par derrière le poignart en la gorge & ferma la porte du chasteau sur luy.

La Damoiselle, voyant que sa Chamberière ne revenoit poinct, s’esbahit pourquoy elle demeuroit