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IJe JOURNÉE

Entre autres le fut d’une fort belle, saige & honneste Dame, laquelle estoit seur d’un Gentil homme que le Duc aimoit comme luy mesmes, & auquel il donnoit tant d’autorité en sa maison que sa parolle estoit obéye & craincte comme celle du Duc, & n’y avoit secret en son cueur qu’il ne luy declairast, en sorte que l’on le pouvoit nommer le second luy mesmes.

Et voyant le Duc sa seur estre tant femme de bien qu’il n’y avoit moien de luy declairer l’amour qu’il luy portoit, après avoir cherché toutes occasions à luy possibles, vint à ce Gentil homme qu’il aimoit tant, en luy disant :

« S’il y avoit chose en ce monde, mon ami, que je ne voulsisse faire pour vous, je craindrois à vous declarer ma fantaisye, & encores plus à vous prier m’y estre aidant. Mais je vous porte tant d’amour que, si j’avois femme, mère ou fille qui peust servir à sauver vostre vie, je les y employerois plustost que de vous laisser mourir en torment, & j’estime que l’amour que vous me portez est reciprocque à la mienne & que, si moy, qui suis vostre maistre, vous portois telle affection, que pour le moins ne la sçauriez porter moindre. Par quoy je vous declaireray un secret, dont le taire me met en l’estat que vous voyez, duquel je n’espère amandement que par la mort ou par le service que vous me pouvez faire. »