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XXXe NOUVELLE

teste soubs la craincte de Dieu, voyant que pour cuyder bien faire tant de mal est advenu.

— Sçachez, » dist Parlamente, « que le premier pas que l’homme marche en la confiance de soy‑mesmes s’esloigne d’autant de la confiance de Dieu.

— Celluy est sage, » dist Geburon, « qui ne congnoist ennemi que soy-mesmes & qui tient sa volunté & son propre conseil pour suspect.

— Quelque apparance de bonté & de saincteté qu’il y ayt, » dist Longarine, « il n’y a apparence de bien si grand qui doibve faire hazarder une femme de coucher avecq ung homme, quelque parent qu’il luy soyt, car le feu auprès des estouppes n’est poinct seur.

— Sans poinct de faulte, « dist Ennasuitte, « ce debvoit estre quelque glorieuse folle qui par sa resverie des Cordeliers pensa estre si saincte qu’elle estoyt impeccable, comme plusieurs d’entre eulx veullent persuader à croyre que par nous mesmes le povons estre, qui est ung erreur trop grand.

— Est-il possible, Longarine, » dist Oisille, « qu’il y en ayt d’assez folz pour croyre ceste opinion ?

— Ilz font bien mieulx, » dist Longarine, « car ilz disent qu’il se fault habituer à la vertu de chasteté &, pour esprouver leurs forces, parlent avecq les plus belles qui se peuvent trouver & qu’ils ayment le mieulx, & avecq baisers & attouchemens de mains expérimentent si leur chair est en tout morte. Et, quant par tel plaisir ils se sentent esmouvoir, ils se séparent, jeusnent & prennent de grandes disciplines. Et, quant ils ont matté leur chair jusques là & que, pour parler ne baiser, n’ont poinct d’esmotion, ilz