Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
IIJe JOURNÉE

engrossa de celluy lequel elle vouloyt garder d’engrossir les autres.

Le péché ne fut pas si tost faict que le remors de conscience l’esmeut à un si grand torment que la repentence ne la laissa toute sa vie, qui fut si aspre à ce commencement qu’elle se leva d’auprès de son filz, lequel avoit tousjours pensé que ce fust sa Damoiselle, & entra en ung cabinet, où, remémorant sa bonne délibération & sa meschante exécution, passa toute la nuict à pleurer & crier toute seule.

Mais, en lieu de se humillier & recongnoistre l’impossibilité de nostre chair qui sans l’ayde de Dieu ne peult faire que péché, voulant par elle mesmes & par ses larmes satisfaire au passé & par sa prudence éviter le mal de l’advenir, donnant tousjours l’excuse de son péché à l’occasion & non à la malice, à laquelle n’y a remede que la grace de Dieu, pensa de faire chose par quoy à l’advenir ne sçauroit plus tumber en tel inconvénient, & comme s’il n’y avoyt que une espèce de péché à damner la personne, mist toutes ses forces à éviter cestuy là seul.

Mais la racine de l’orgueil, que le péché extérieur doibt guérir, croissoit tousjours en sorte que en évitant ung mal elle en feyt plusieurs autres, car le lendemain au matin, si tost qu’il fut jour, elle envoia quérir le Gouverneur de son filz & luy dist : « Mon filz commence à croistre ; il est temps