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IIJe JOURNÉE

Et, quant le souppé fut venu, ainsy qu’ilz mangeoient leur potaige, le Secrétaire leur dist :

« Laissez là ces viandes fades, & tastons de cest esguillon d’amour de vin. »

En disant cela, ouvre ce grand pasté &, cuydant trouver le jambon, le trouva si dur qu’il n’y povoyt mectre le cousteau &, après s’y estre esforcé plusieurs foys, s’advisa qu’il estoyt trompé & trouva que c’estoyt ung sabot de bois, qui sont des souliers de Gascoigne. Il estoyt emmanché d’un bout de tizon, & pouldré par dessus de pouldre de fer avecq de l’espice, qui sentoyt fort bon.

Qui fut bien pesneux ce fut le Secrétaire, tant pour avoir esté trompé de celluy qu’il cuydoit tromper que pour avoir trompé celle à qui il voulloit & pensoit dire vérité, & d’autre part luy faschoit fort de se contenter d’un potaige pour son souper.

Les Dames, qui en estoient aussi marries que luy, l’eussent accusé d’avoir faict la tromperie, sinon qu’elles congneurent bien à son visaige qu’il en estoit plus marry qu’elles.

Et, après ce léger souper, s’en alla ce Secrétaire bien collère, &, voyant que Bernard du Ha luy avoyt failly de promesse, luy voulut aussi rompre la sienne. Et s’en alla chez le Lieutenant criminel, délibéré de luy dire le pis qu’il pourroit du dict