Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
XXVIIJe NOUVELLE

ma tromperie vous feray manger le meilleur jambon de Pasques qui fut jamais mangé dans Paris. »

La Damoiselle, qui le creut, assembla deux ou trois des plus honnestes de ses voysines, & les asseura de leur donner une viande nouvelle & dont jamais elles n’avoient tasté.

Quant le dimanche fut venu, le Secrétaire, serchant son Marchant, le trouva sur le Pont au Change, & en le saluant gracieusement luy dist :

« À tous les Diables soyez vous donné, veu la peyne que vous m’avez faict prendre à vous chercher. »

Bernard du Ha luy respondit que assez de gens avoient prins plus de peyne que luy qui n’avoient pas à la fin esté récompensez de telz morceaulx. Et, en disant cela, luy monstra le pasté, qu’il avoyt soubz son manteau, assez grand pour nourrir ung camp. Dont le Secrétaire fut si joyeulx que, encores qu’il eust la bouche parfaictement laide & grande, en faisant le doulx la rendit si petite que l’on n’eust pas cuydé qu’il eust sçeu mordre dedans le jambon, lequel il print hastivement &, sans convoyer le Marchant, s’en alla le porter à la Damoiselle, qui avoyt grande envye de sçavoir si les vivres de Guyenne estoient aussi bons que ceulx de Paris.