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IIJe JOURNÉE

Et, quant il eut achepté une couple de beaulx chevaulx d’Espaigne, s’abilla en pallefrenier & desguisa tellement son visaige que nul ne le congnoissoit. Le Gentil homme, mary de la folle dame, qui sur toutes choses aymoyt les chevaulx, veit les deux que menoit Monseigneur d’Avannes ; incontinant les vint achepter &, après les avoir acheptez, regarda le Pallefrenier, qui les menoyt fort bien, & luy demanda s’il le voulloyt servir ? Le Seigneur d’Avannes luy dist que ouy & qu’il estoit ung pauvre Pallefrenier, qui ne sçavoyt autre mestier que panser les chevaulx, en quoy il s’acquicteroit si bien qu’il en seroyt contant. Le Gentil homme en fut fort aise & luy donna la charge de tous ses chevaulx, &, en entrant en sa maison, dist à sa femme qu’il luy recommandoit ses chevaulx & son Pallefrenier & qu’il s’en alloyt au chasteau.

La Dame, tant pour complaire à son mary que pour avoir meilleur passetemps, alla visiter les chevaulx & regarda le Pallefrenier nouveau, qui luy sembla de bonne grace ; toutesfois elle ne le congnoissoyt poinct. Luy, qui veit qu’il n’estoit poinct congneu, luy vint faire la révérence en la façon d’Espaigne & luy baisa la main, & en la baisant la serra si fort qu’elle le recongneut, car en la dance luy avoyt il mainte fois faict tel tour, & dès l’heure ne cessa la Dame de chercher lieu