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IIJe JOURNÉE

amour au Seigneur d’Avannes que matin & soir ne cessoyt de s’enquérir s’il luy falloit quelque chose & ne cella à sa femme la dévotion qu’il avoyt au dict Seigneur & à son service, dont elle l’ayma doublement, & depuis ceste heure, le dict Seigneur d’Avannes n’avoit faulte de chose qu’il desirast. Il alloit souvent veoir ce riche homme, boyre & manger avecq luy &, quand il ne le trouvoit poinct, sa femme bailloyt tout ce qu’il demandoit, & davantage parloyt à luy si saigement, l’admonestant d’estre saige & vertueux, qu’il la craingnoit & aymoyt plus que toutes les femmes de ce monde.

Elle, qui avoit Dieu & Honneur devant les œilz, se contentoit de sa veue & parolle, où gist la satisfaction d’honneste & bon amour, en sorte que jamais ne luy feit signe pour quoy il peust juger qu’elle eût autre affection à luy que fraternelle & chrestienne.

Durant ceste amityé couverte Monseigneur d’Avannes par l’ayde des dessus dictz estoyt fort gorgias & bien en ordre ; commencea à venir en l’aage de dix sept ans & de chercher les dames plus qu’il n’avoit de coustume. Et, combien qu’il eust plus voluntiers aymé la saige dame que nulle, si est ce que la paour qu’il avoyt de perdre son amityė, si elle entendoyt telz propos, le feyt taire & se amuser ailleurs, & s’alla addresser à une Gentil femme, près de Pampelune, qui avoyt maison en