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IJe JOURNÉE

estat & forme de vivre, comme elle avoit esté vivant en une Maison soubs pareil Maistre & Maistresse. Et, pour ce que elle avoit plus de quatre mois auparavant donné ordre à tout ce qui luy estoit nécessaire pour entrer en Religion, ung matin demanda congé à la Marquise d’aller ouyr la messe à Saincte-Claire, ce qu’elle luy donna, ignorant pourquoy elle le demandoit. Et en passent devant les Cordeliers pria le Gardien de luy faire venir son serviteur, qu’elle appelloit son parent, &, quand elle le veid en une chapelle à part, luy dist :

« Si mon honneur eust permis qu’aussi tost que vous je me fusse osé mettre en Religion, je n’eusse tant attendu ; mais, ayant rompu par ma patience les opinions de ceux qui plus tost jugent mal que bien, je suis délibérée de prendre l’estat, la robbe & la vie telle que je voy la vostre, sans m’enquérir quel il y faict. Car, si vous y avez du bien, j’en auray ma part, &, si vous y recepvez du mal, je n’en veulx estre exempte ; car par tel chemin que vous irez en Paradis je vous veulx suivre, estant asseurée que celuy qui est le vray, parfaict & digne d’estre nommé Amour, nous a tirez à son service par une amitié honneste & raisonnable, laquelle il convertira par son Sainct Esperit du tout en luy, vous priant que vous & moy oblyons le corps, qui périt & tient du vieil Adam, pour recepvoir & revestir celuy de nostre espoux Jesus Christ. »