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IJe JOURNÉE

n’y entendre rien, luy respondit : « Dieu ne doibt poinct ainsi estre prins en vain, mais les poëtes dient que les Dieux se rient des juremens & mensonges des amantz, par quoy les femmes qui ayment leur honneur ne doibvent estre crédules ne piteuses. » En disant cela, elle se liève & s’en retourne en son logis.

Si le Gentil homme fut courroucé de ceste parole, ceulx qui ont experimenté choses semblables diront bien que ouy. Mais luy, qui n’avoit faulte de cueur, aima mieulx avoir ceste mauvaise response que d’avoir failly à déclarer sa volunté, laquelle il tint ferme trois ans durans, & par lettres & par moyens la pourchassa, sans perdre heure ne temps.

Mais, durant trois ans, n’en put avoir autre response sinon qu’elle le fuyoit comme le loup faict le levrier duquel il doibt estre prins, non par haine qu’elle luy portast, mais pour la craincte de son honneur & réputation, dont il s’apperçeut si bien que plus vivement qu’il n’avoit faict pourchassa son affaire. Et, après plusieurs refus, peines, tormentz & désespoirs, voyant la grandeur & persévérance de son amour, ceste Dame eut pitié de luy & luy accorda ce qu’il avoit tant desiré & si longuement attendu.

Et, quand ils furent d’accord des moyens, ne faillit le Gentil homme françois à se hazarder d’aller en sa maison, combien que sa vie y pouvoit estre