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ORAISON FUNÈBRE

& utiles. Cela veoiant, un Gentilhomme Espaignol, qui, avec un aultre Gentilhomme François, estoit un jour venu faire la révérence a la Royne, — nous estions lors au monastère de Thusson, — se trouva tout estonné. Il la regardeoit attentivement disputer avec nous &, quand nous luy respondions, chascun à son rang, il nous regardoit de travers, monstrant assez à sa mine qu’il napprouvoit fort ce qu’il veoioit.

Nostre dispute estoit sur les parolles de Jésus-Christ : Si vous n’estes faicts comme les petits enfants, vous n’entrerés jamais au Royaulme des Cieuls. Le Roux, son Prescheur, dont nous parlions maintenant en disoit son advis en bon Théologien & le confirmeoit de l’auctorité de S. Augustin ; Regin, l’un de ses Maistres de Requestes, humaine & docte personne, allégueoit S. Hiérome &, pource que la Royne me feist tant d’honneur que de me commander luy dire ce que j’en senteois, luy alléguay les opinions des S. Docteurs Chrysostome, Theophylacte & Hilaire. Mais, quand nous eumes finy nos allégations, ô Seigneur Dieu, de quelles parolles & gravité de sentences la trèssçavante Royne nous expliqua ce qui luy en semhleoit ! Ce pendant nostre Gentilhomme se taisoit &, comme s’il eust esté en ecstase ou eust veu quelque phantasme, ne sçavoit que dire de nous.

Peu de temps après, comme nous avons entendu par un notable homme qui estoit présent à la complaincte, estant le Gentilhomme en la maison d’un Cardinal où l’on tenoit propos de Marguerite, racompta au long ce qu’il avoit veu à Thusson, en se complaignant trèsfort d’elle de quoy la veit disputer de choses frivolles & de nulle valleur avec je ne scay quels bonnets ronds, sans havoir en sa compaignie que deus ou trois Gentilshommes, mais qu’elle ne