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ORAISON FUNÈBRE

son jugement, avoient besoing de son conseil ; consoleoit les aultres quelle veoioit en adversité ; elle donneoit espérance aux ennuiés, tristes & souciés, & à ceuls qui luy demandoient quelque chose ne refuseoit rien. Après qu’elle avoit ainsi preste l’aureille à toutes personnes & par ordre, elle demeuroit ancor un peu là & attendoit s’il y en avoit d’aultres qui voulussent parler à elle. Or havoit souvenance la trèsdebonnaire Royne de la Royalle sentence, par aulcuns attribuée à Tite Vespasian : Que jamais personne ne s’en doibt aller triste & mary de la parolle d’un Prince. Et, quand elle estoit advertie de ceuls qui estoient vexés de maladie ou aultre calamité, sans havoir acception de personne les alloit veoir &, les ayant consolés par chrestienne exhortation, commandoit à ses Médecins de prendre garde d’euls & leur ayder de leur art & industrie.

Si, en sortant de là, elle entendoit que la maison heust besoing des biens de fortune, retournée en sa chambre envoioit argent & aultres choses nécessaires au malade, mais c’estoit secrètement & sans se nommer, car elle ne vouloit estre congnue ne faire tel acte devant le monde comme un Batteleur qui joue sur un eschaufaut, affin qu’elle ne sembleast vouloir achapter la faveur du peuple par ses aulmones.

Quant est des Veufves, des Orphelins & des Pauvres, certes elle havoit tant leurs affaires & nécessités à cœur que, quand ils luy présentoient quelque requeste, incontinent la prenoit & la lisoit, ou, quand l’opportunité ne s’y adonnoit, se la faisoit lire jusques à la fin. Ayant entendu ce qu’ils demandoient, renvoioit le tout à ses Maistres des Requestes & aultres graves & doctes personnes de son Conseil, leur commandant trèsexpressément que, sans nul