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ORAISON FUNÈBRE

Royale jusques à ce qu’elle leur eust obtenu & impétré de luy grâce, pardon & liberté.

Encor diray je davantage d’un acte qui estoit, au jugement de tous les hommes, bien dur & difficile à porter patiemment ; c’est qu’il s’en est trouvé quelques uns du nombre de ceuls qu’elle avoit trèshumainement reçeus en sa Maison, qu’elle avoit élevés aux honneurs & grandes dignités, quelle avoit soubstenus contre tous & couverts de son auctorité, comme du fort bouclier d’Homère, quelle avoit, dy-je, des plus intimes & familiers de sa Maison, qui secrètement ont fait tout leur possible pour luy faire encourir la male grâce du Roy, son frère, & de l’aultre Roy, son mary. Veoiés, ô Alençonnois, quel malvais gré a reçeu Marguerite pour s’estre du tout emploiée à les favoriser, secourir & ayder.

Ô extrême impudence, ô ingratitude Scythique ! Mais ce n’est grand merveille d’entendre ceuls avoir esté impudents qui ont surpassé toute mémoire d’ingratitude, je dy, qui se sont monstrés les plus ingrats dont jamais on ouït parler ? Car, ainsi que Xénophon escrit : « Impudence est fille d’Ingratitude & induit l’homme ingrat à faire tout villain acte. » Pour ceste cause, les Perses souloient faire une trèsgriève & exemplaire punition de ceuls qui ne rendoient le plaisir qu’on leur avoit fait quand ils en havoient la puissance, pour tant qu’il leur sembloit que les ingrats mesprisent les Dieus, leurs parents, leur patrie & leurs amys. Que juges tu qu’ils eussent fait s’ils eussent entendu aulcun estre tant ingrat que de n’avoir seulement recongnu le plaisir qui lui a esté fait, mais aussi avoir rendu mal pour bien & déplaisir pour plaisir ? Certes l’injure & énorme oultrage que recepvoit Marguerite, par ceste ingratitude, eust peu mettre hors des gonds de Pa-