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DE MARGUERITE DE NAVARRE

Séneschalle de Poictou, trèsfidèle Dame & trèssoigneuse de Marguerite, entra seule avec elle.

Estant Marguerite entrée, se met à genoils devant l’image de Jésus crucifié, fait à Dieu prière du profond du cœur ; elle souspire, elle pleure, elle luy confesse toutes ses offenses & tourne sur elle la seule cause de la maladie de sa fille, demande trèshumblement pardon & supplie que la santé de la malade lui soit octroiée, mais c’estoit avec condition si l’entérinement de sa requeste estoit à l’une & l’aultre nécessaire, sçaichant bien que la volunté de Dieu doibt estre sur tout demandée. Sainct Jacques escrit la prière de celuy qui croit en Jésus estre envers Dieu de grande vertu & efficace, & Jésus mesmes, nous exhortant en son Evangile de prier Dieu le Père en son Nom, adjouxte que nous obtiendrons tout ce que nous lui demanderons en croiant. Certes, Marguerite l’a si bien prové estre vray que personne ne peut plus se deffier des divines prommesses, sinon qu’il soit impie & sans foy. Et qu’il ne soit ainsi, tantost le congnoistrés.

Marguerite, après sa prière faicte, se liève, sort de l’Église & trouve à la porte plusieurs grands personnages qui commencèrent de lui donner courge par maintes bonnes consolations, auxquels elle dist : « Ô mes amis, il ne me fault attendre que les hommes adoulcissent ma douleur par leur conseil & consolation, car Celuy seul me consolera à qui plaist par cette dure adversité faire essay de ma patience & de ma constance. Mais, puis que, le temps passé, ne m’a point abandonnée en tant d’infortunes où j’estois enveloppée, j’espère que je ne seray trompée de mon attente, car desjà son sainct Esprit prommet au mien que ma fille, tant périlleuse & désespérée soit la maladie qui l’afflige, sera délivrée & recouvrera sa première santé. »